Depuis ma naissance, j'ai une déficience visuelle: mon
oeil gauche ne perçoit que la lumière et le droit possède
un champ de vision restreint et une importante myopie. La
cause de ce problème réside dans une malformation
congénitale de mon nerf optique, le seul lien entre les
yeux et la zone visuelle du cerveau. La chirurgie ne
permet pas de corriger la situation et aucun implant
actuel ne peut remplacer l'oeil humain. Après tout, nous
ne sommes pas dans Star Trek si bien que le VISOR, qui
permet à un personnage aveugle de l'émission de voir,
n'existe pas. :) Naturellement, je me dois de vivre le
plus normalement possible malgré cette déficience et bien
entendu m'intégrer à la société. Si ce n'était pas le cas,
je n'aurais pas étudié l'informatique à l'université et ce
site Web n'existerait sans doute pas.
Conséquences de ma déficience
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Je suis tout d'abord incapable de reconnaître un visage
ou de percevoir des gestes tels qu'un bonjour de la
main ou un sourire. Ne vous étonnez donc pas si je ne
réponds pas à de tels gestes; ce n'est pas par manque
de volonté! Avec l'habitude, j'arrive heureusement à
reconnaître la voix des gens que je côtoie souvent.
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J'éprouve des difficultés à m'adapter à de nouveaux
lieux. Pour la surmonter, je tente de me trouver le
moins possible en de tels lieux, mais ce n'est pas
toujours envisageable. Il me faut dans ce cas faire
appel à des personnes pour m'aider à me familiariser
avec les lieux que je prévois fréquenter souvent, telle
une compagnie où je travaillerai ou une université où
j'étudierai. Cela peut être des membres de ma famille,
des collègues de travail ou encore une
personne-ressources de l'Institut Nazareth et
Louis-Braille. Ces personnes m'aident à déterminer des
points de repère qui me permettront de m'orienter avec
un minimum d'aise et de sécurité dans le lieu à
fréquenter. Toutefois, ma mémoire me permet de me
souvenir des lieux et de m'y retrouver par la suite
sans aide extérieure.
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Pour des lieux que je fréquente occasionnellement, une
aide extérieure s'avère souvent nécessaire. L'idéal
consiste en une personne accompagnatrice, mais dans
certains cas, il arrive que ma canne blanche et les
gens aux alentours soient mes seuls secours.
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Je suis en mesure de lire un écran d'ordinateur, mais
je dois me rapprocher plus que la normale. De plus,
avec un pointeur de souris trop petit, même avec la
souris en général, je deviens parfois fou! La ligne de
commande est donc d'un grand secours pour moi! Avec des
polices trop petites, comme on trouve par défaut avec
les résolutions d'écran actuelles, je m'arrache les
yeux. Heureusement, la plupart du temps, je peux
contourner ces problèmes en modifiant les paramètres
d'affichage. Je dis bien la plupart du temps...
Certains logiciels récalcitrants comme Outlook 2003 de
Microsoft ignorent la fonte demandée par l'utilisateur
tandis que d'autres comme Firefox affichent
périodiquement du contenu qui se superpose lorsque la
taille des caractères est trop grande. Certains
logiciels, comme Eclipse, dont le fonctionnement repose
en grande partie sur le clic à la souris, me posent des
difficultés ou deviennent à la longue épuisants pour
moi à utiliser. Mais dans chaque cas, l'utilisation
n'est pas totalement impossible.
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Les livres causent aussi quelques légers problèmes.
Bien que je sois en mesure de lire le caractère
normal, soit le 12 points ou le 10 points (à la
limite), il me faut me rapprocher du texte à lire,
beaucoup plus près des trente centimètres
recommandés. Il est aussi difficile pour moi de
feuilleter et de retrouver rapidement une
information donnée. Le simple fait de retrouver le
numéro des pages peut parfois devenir une
difficulté! Je dispose de loupes pour les cas les
plus épineux, mais ceux-ci sont heureusement très
rares. De toute façon, la loupe ne m'a jamais aidé
beaucoup pour la lecture de longs textes.
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Durant mon doctorat, j'ai expérimenté la lecture de
copies manuscrites en faisant de la correction pour mon
directeur de recherche. Ce fut, disons-le, une
expérience assez fatigante. Certaines copies étaient
assez faciles à lire, quoi que pas autant que de
l'imprimé, mais d'autres me donnèrent du fil à
retordre. Parfois, il était tellement long de décoder
chaque lettre que je devais prendre des raccourcis en
utilisant le contexte. Développer ces mécanismes est
une question d'entraînement; ils se développent à force
d'essayer de lire de l'écriture à la main. Je ne
pourrais pas les décrire de façon précise et formelle.
Si je réussissais un jour, je pourrais sans doute
écrire quelques intéressants articles scientifiques sur
la reconnaissance optique de caractères.
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J'avais de la difficulté à lire le tableau pendant
les cours. Un télescope m'a à l'occasion apporté une
certaine aide, mais il ne faisait pas tout. Je ne
pourrais pas transcrire un tableau au complet avec
cet appareil, à moins de disposer de beaucoup de
temps et d'énergie, ainsi que d'un trépied pour
fixer le télescope. Pour surmonter le problème sans
me doter d'un appareil-photo numérique ou d'un
caméscope, je devais rester constamment vigilant
pour saisir le moindre détail dit par le professeur.
La déduction et/ou la lecture des manuels
s'avéraient parfois les seuls moyens de retrouver
une information perdue qui se trouvait sur le
tableau. Dans certains cas, demander au professeur
ou à un autre étudiant était la seule solution.
Heureusement, les cours ne posent plus de problèmes
depuis 2006, année à laquelle j'ai terminé mon
dernier cours gradué pour mon doctorat.
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Me déplacer dans des lieux peuplés et/ou truffés
d'obstacles réels et potentiels est en soi une source
de stress qui consomme mon énergie quotidiennement. La
canne blanche, que j'ai eue au début de la session
Automne 2000, permet de diminuer ce stress et m'éviter
certains tracas. Cet outil, en plus de m'aider à
détecter certains obstacles, signale ma déficience aux
autres, qui font davantage attention ou m'offrent
parfois leur aide.
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Je suis incapable de vision en trois dimensions, car il
faut le concours des deux yeux pour percevoir la
profondeur. Cela se traduit par une difficulté à
évaluer des distances. Bien que mon cerveau peut
compenser, s'étant accoutumé à cette situation, ce
n'est pas parfait. Par exemple, je ne peux pas
ressentir tout l'effet 3D de systèmes avec lunettes ou
de IMAX 3D. C'est comme regarder un film sur un écran
plat. On peut déduire l'existence de la troisième
dimension sans la percevoir réellement. Heureusement,
ce n'est pas un gros problème pour moi dans le domaine
où j'étudie.
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Regarder la télévision cause aussi quelques problèmes:
je dois me rapprocher du petit écran et je ne saisis
pas toujours tous les détails, surtout lorsque l'action
se passe rapidement et qu'aucun indice non visuel ne
révèle ce qui a bien pu se passer. Les sous-titres,
bien entendu, s'avèrent ma bête noire s'ils sont
nécessaires pour comprendre ce qui est diffusé. Un
parfait exemple de film ayant posé de gros problèmes
pour moi a été Babel, que je n'ai même pas terminé.
Dans ce film, il y a des séquences en plusieurs langues
qui sont sous-titrées, sans aucun indice autre que
visuel séparant permettant de détecter le nouveau
contexte dans lequel l'action se passe. Un écran géant,
comme le téléviseur 46" que mes parents ont acheté en
début 2003, est une véritable bénédiction pour moi,
mais il ne règle pas tous les problèmes, notamment les
sous-titres qui défilent trop rapidement.
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Je suis incapable de conduire une automobile, quelle
qu'elle soit. Il me faudra attendre la voiture
automatisée et encore. Il se peut bien que cette
voiture fantastique tombe en panne et qu'il faille de
temps en temps passer en mode manuel, ce que je ne
pourrai faire. De plus, il y a fort à parier que
certaines tâches, comme un dépassement ou une conduite
dans des conditions climatiques difficiles (glace,
poudrerie, embouteillage, etc.), nécessiteront des
interventions manuelles pendant bien longtemps, de tout
mon vivant probablement. Comme je réside chez mes
parents à Chambly, une banlieue près de Montréal, cette
impossibilité est un sujet de péoccupation pour moi.
J'ai souvent l'impression que c'est l'obstacle le plus
important à mon autonomie. Heureusement, les transports
en commun allègent partiellement ce problème qui,
autrement, serait pratiquement insupportable.
Nous voyons ici que tous ces problèmes possèdent leur
solution, quoique parfois partielle. Ma déficience est
purement visuelle et n'affecte en rien mes capacités
mentales. Il arrive parfois même qu'une tâche que je
croyais impossible pour moi devient réalisable en
l'abordant sous le bon angle ou en consultant les bonnes
personnes. Je suis un être humain dans ce long combat que
constitue la vie. Cette déficience ne m'a pas empêché d'accomplir certaines
choses.
De plus, certains organismes sont là pour me venir en aide
dans le besoin. Il y a l'Institut Nazareth et
Louis-Braille qui me fournit entre autres choses mes
lunettes qui, étant plus fortes que la normale, ne se
trouveraient pas facilement dans une lunetterie ordinaire.
Il y a aussi la Fondation des
Aveugles du Québec, un organisme qui permet à des
jeunes déficients visuels et aveugles de participer à des
activités qu'il serait impossible d'imaginer autrement. Il
existe une multitude d'autres organismes que je connais
mais auxquels je n'ai pas (encore) fait affaire: le RAAQ, le RAMM, l'ASLPA, l'ASAM
le SQPA,
le SDEM-SÉMO, l'INCA, la Fondation MIRA, le World Blind
Union, etc. L'objectif ici n'étant pas une énumération
exhaustive des ressources, je ne fais qu'en mentionner
quelques-uns sans m'étendre sur leurs rôles.